Credo, credis, credit.  A propos des crédits bancaires aux petites entreprises

Dans cet article, Daria Lyubchenko et moi revenons sur l’époque où nous travaillions pour les projets de la BERD de prêts aux petites entreprises. Les banques russes venaient juste à commencer d’alors à travailler avec les petites entreprises et le « taux d’intérêt élevé » semblait être le principal obstacle pour des emprunteurs potentiels.  Aujourd’hui, alors que je fais des recherches pour un projet en Asie centrale, j’entends les mêmes préoccupations de la part des entrepreneurs et je ne peux que répéter ce que nous disions il y a une vingtaine d’années : le taux d’intérêt n’est pas l’élément principal lorsque l’on parle de petits et micro-prêts.  Sur les marchés émergeants, les banques doivent apprendre à écouter les propriétaires de petites entreprises et à examiner leurs activités en détail. Lorsqu’il y a convergence de vues entre les banques et les petites entreprises, les deux parties en profitent.

Un crédit à la consommation ou bien un crédit commercial ?

L’essor du crédit à la consommation basé sur « big data » et des fintechs proposant des crédits « express » semble avoir éclipsé la question du crédit aux petites entreprises par les banques.

Pourquoi les propriétaires d’entreprises devraient-ils s’embarrasser de formalités s’ils peuvent contracter des prêts en tant que consommateurs, puis rembourser dès que l’entreprise génère suffisamment de liquidités ?

Cette solution semble commode, mais elle laisse de côté des opportunités de développement telles que la création de partenariats et la compréhension de son propre potentiel de croissance et ses des risques. Un entrepreneur peut acquérir une telle compréhension en travaillant avec une banque.

Les entreprises et les banques

Les petites entreprises ont besoin de crédit.  Elles peuvent emprunter à des amis ou à la famille, ou, sur une plateforme numérique spécialisée, ou encore contacter une banque.  Pour les banques, un prêt est une première étape pour attirer les petites entreprises comme clients.

Il est assez rare qu’une petite entreprise ait besoin d’un compte d’épargne.  Les petites entreprises dégagent des bénéfices de leur activité et peuvent les réinvestir pour se développer. En investissant dans le développement, les entreprises grandissent, deviennent moyennes, puis grandes.

Une petite entreprise a-t-elle besoin d’un compte courant ?

Oui en général, ne serait-ce que pour payer les impôts, mais cela dépend des exigences du régulateur bancaire. Au stade initial  les petites entreprises peuvent utiliser les comptes bancaires principalement pour payer les impôts. (C’était le cas en Russie dans les années 90, et cela semble être le cas aujourd’hui en Asie centrale où un grand nombre de transactions B2C sont effectuées via des portefeuilles électroniques).

Une fois le marché arrivé à maturité, le client de la petite entreprise a besoin d’un compte courant pour la plupart des transactions, y compris une interface bancaire lui permettant d’accéder à son compte sur l’internet, de vérifier le solde de ses comptes et de consulter l’historique de ses paiements.

Ensuite, les entreprises peuvent avoir besoin de la fonctionnalité de la gestion de la paie, et une assurance pour les biens immobiliers ou les marchandises.

Les prêts, cependant, sont toujours plus importants. Concentrons-nous donc sur les prêts.

Un nouveau départ

Quand les entreprises peuvent-elles demander un prêt à une banque ? Dans tous les cas ! Une banque répond simplement aux besoins opérationnels du client, quels qu’ils soient.

Quand une banque le fait-elle volontiers et avec grand plaisir, et quand évite-t-elle de prêter ? La première fois qu’un client commence à penser au crédit, c’est lorsqu’il démarre son activité.  Où trouver l’argent pour rénover les locaux, ou pour acheter des équipements commerciaux et de production, ou pour payer les trois mois de loyer, pour acheter des marchandises, du stock commercial, et aussi pour faire de la publicité, afin que les premiers clients viennent. Le lancement d’une entreprise nécessite des dépenses, et l’on ne sait pas si elles seront rentables. Les banques traiteront-elles avec les jeunes entreprises ?

Si le client n’a aucune expérience de l’activité en principe, et qu’aucune autre activité en cours ne peut soutenir le développement de la nouvelle entreprise, même si le client a un business plan idéal- la banque n’accordera pas de prêt. Le risque est trop important.

Et si l’entreprise porte un actif sur son bilan qui peut être hypothéqué, la réponse de la banque serait la même! Après tout, la vente du bien hypothéqué n’est pas le cœur de métier de la banque. Une banque ne s’y intéresserait pas du tout.

La banque n’accordera un tel prêt que s’il est garanti par une entreprise existante et suffisamment rentable, ou s’il est garanti par une autre personne disposant d’un revenu stable et fiablе. Le revenu mensuel de la personne doit être environ deux fois supérieur au montant mensuel à verser à la banque.

En théorie, une banque, considérant que l’entreprise est prometteuse, peut devenir partenaire de l’entreprise, l’opération devenant alors semblable à une joint-venture. Dans ce cas, la banque aura la possibilité d’influencer légitimement le cours de l’entreprise et en aura également le contrôle.

Toutefois, ce type d’accord n’est généralement pas conclu avec les petites entreprises.

Croissance

Ensuite, le soutien de la banque est nécessaire lorsque l’entrepreneur souhaite développer son activité. Si une petite entreprise veut ouvrir un nouveau point de vente, lancer un nouveau type de produit ou de service, acheter des équipements supplémentaires, racheter des locaux loués, tous ces éléments sont des raisons suffisantes pour qu’une banque lui fasse un prêt.

La banque analysera l’activité actuelle du client, comprendra si le client peut rembourser le prêt à partir de ses bénéfices, verra dans quelle mesure le client aura fait ses preuves dans les affaires, comment il fera face aux problèmes, comment il travaillera avec ses fournisseurs et ses clients, gèrera les processus et calculera les risques.

Combien ?.. telle est la question

Prenons un exemple. Un coiffeur qui a cinquante clients par mois se présente à une banque pour demander un prêt pour une chaîne de salons de coiffure.

La banque prêtera-t-elle de l’argent à un tel client ? Certainement pas. Le montant du prêt doit être comparable à la taille de l’entreprise existante.  Donneriez-vous de l’argent à quelqu’un qui travaille comme employé de station-service, pour une chaîne de stations-service, s’il promet de vous rembourser dans six mois ? – Probablement pas.

En revanche, vous envisagerez un prêt au propriétaire de la station-service qui veut en construire une deuxième dans un autre quartier de la ville. Si son plan est réaliste et que son activité actuelle est saine, il est probable que le prêt sera remboursé avec succès.

Planifier, permet-il d’éviter les aléas ?

Une raison supplémentaire pour laquelle une petite entreprise emprunteuse vient demander un prêt est le manque de liquidités.  Par exemple, le client n’a pas l’argent nécessaire pour payer les salaires des employés, les impôts, le loyer des deux mois précédents, ou pour payer la livraison de biens ou de services aux fournisseurs.

Dans ce cas, la banque sera désireuse d’entendre une explication du manque de liquidités. S’il est dû à une baisse de la demande, à une diminution de la rentabilité, ou si trop d’argent a été retiré pour les besoins personnels du propriétaire, la banque ne fera pas une telle opération. Le risque est trop grand.

Si la baisse de la demande est saisonnière, que le client y a pensé à l’avance et qu’il souhaite contracter un prêt pour combler l’écart de liquidité, la banque sera heureuse de lui accorder un prêt.

Des problèmes de liquidités périodiques imprévisibles dans l’histoire de l’entreprise indiquent toujours à la banque que le client ne comprend pas suffisamment les risques et ne surveille pas les flux de trésorerie.

Refinancement

Une autre raison courante pour laquelle les petites entreprises s’adressent aux banques est le refinancement de leurs prêts existants.

Le refinancement consiste à prendre un nouveau prêt pour clôturer un ou plusieurs prêts existants. Les banques proposent souvent le refinancement aux bonnes entreprises si elles veulent les avoir comme clients.

Il est possible pour une banque de refinancer plusieurs prêts de différentes banques avec un seul nouveau prêt. C’est une bonne chose pour le client, car il n’a pas a se soucier des paiements mensuels à plusieurs banques.

Il peut payer une seule banque et poursuivre son activité.  C’est bon pour la banque : un nouveau client prendra de nouveaux prêts à l’avenir s’il est satisfait de sa première expérience. Il existe d’autres cas où les clients demandent des prêts, comme, par exemple, un rachat d’actions pour rembourser d’autres fondateurs.

Mais ce ne sont pas des cas typiques de petites entreprises. Prêts en devises étrangères : le retour d’expérience Supposons qu’un client ait contracté un prêt en devises étrangères, que le taux de change du dollar américain se soit envolé et que le client soit incapable de payer la mensualité parce que le bénéfice de l’entreprise n’est pas suffisant.

Aujourd’hui, cet état de fait est considéré comme le résultat d’une double erreur de la banque et du client.  Si les revenus de l’entreprise sont en monnaie locale, alors c’est en monnaie locale, uniquement en monnaie locale que la banque doit envisager de prêter.

En liant le prêt au dollar, le risque de change est transféré au client. Après la crise de 2008, les réglementations bancaires sont devenues plus strictes, et une telle banque pourrait être considérée aujourd’hui comme un créancier irresponsable.

Voici ce qui s’est passé en Russie en 1998 et en 2008 lorsque des clients n’étaient pas en mesure de rembourser leurs prêts en dollars et en euros : la banque acceptait que le client trouve de l’argent ailleurs et rembourse le prêt en devises.

La banque émettait alors un montant identique ou supérieur en monnaie locale, à plus long terme, avec un calendrier de remboursement adapté à la nouvelle situation.  Il s’agissait en fait d’exercices de restructuration, et l’expérience a été douloureuse pour les deux parties.

Services non financiers/conseils

Les services de consultation ou de conseil sont une composante très importante de l’offre des banques.  Les services de conseil ne sont pas du tout l’activité principale des banques, ils font partie du marketing visant à attirer l’attention des clients existants et potentiels.

Grâce aux efforts de la banque pour promouvoir ses propres services, les entrepreneurs peuvent nouer des contacts lors de tables rondes, de petits déjeuners d’affaires et de présentations et, certainement, en apprendre davantage sur les possibilités bancaires et de financement.

De cette manière, les banques jouent le rôle d’éducateurs.  Les banques éduquent leurs clients, contribuant ainsi au développement de l’économie et à l’amélioration des pratiques commerciales.  Il est beaucoup plus facile pour les banques de traiter avec des clients qui comprennent et parlent le langage des banques.

Les banquiers trouvent qu’il est beaucoup, beaucoup plus facile de travailler avec des clients qui sont habitués à leurs questions et à leurs exigences, qui tiennent leur comptabilité conformément aux exigences de la banque, qui peuvent faire des projections financières et extraire les chiffres nécessaires de leurs livres en un instant.

Une telle coopération devient non seulement mutuellement bénéfique mais aussi enrichissante, grâce à un échange constant d’informations et de connaissances.

Il arrive souvent qu’après une première analyse de l’activité, la banque déclare qu’il n’est pas possible d’accorder un prêt à l’entreprise en question, car les banquiers constatent des erreurs dans la gestion de l’entreprise, une faiblesse du marketing ou une dépendance dangereuse vis-à-vis d’un seul fournisseur.

Si un tel refus est considéré comme un diagnostic initial, il fait beaucoup de bien aux entreprises.  De nombreuses banques soutenues par des organisations internationales proposent des services non financiers, payants ou gratuits.

Ces services peuvent inclure des auto diagnostics basés sur des questionnaires, ou l’exploration des points sensibles avec l’aide d’un mentor recommandé par la banque.

Il s’agit d’excellentes opportunités ; la décision de les utiliser appartient entièrement au client.

Il était une fois…

Un conte serait une façon plus facile de raconter l’histoire qui suit.

Il était une fois un pays qui a connu un changement majeur.  Le système bancaire du pays s’est transformé : certaines vieilles banques d’État sont restées fortes mais de nouvelles banques privées sont apparues.

Les banques traditionnelles et les nouvelles ne s’intéressaient qu’aux grandes entreprises.  Les petites entreprises devaient se débrouiller toutes seules.  Pour obtenir un capital de départ, les entrepreneurs vendaient des appartements, prenaient de l’argent auprès de parents, d’amis ou de groupes criminels, en risquant tout.  Mais il était impossible de créer une entreprise sans argent.  Le marché capitaliste suit le schéma « argent – marchandise – argent ».  Alors, où trouve-t-on l’argent ?

Les banquiers dans un bunker

Pourquoi les banques ne considéraient-elles pas les petites entreprises comme des clients ? Tout d’abord, elles pensaient que les prêts aux petites entreprises n’étaient pas rentables et étaient trop risqués.  Elles n’avaient aucune idée de la manière de travailler avec les petits clients, car leurs outils habituels d’analyse des risques n’étaient pas applicables.

Les petits clients ne disposaient pas des états financiers que les banques avaient l’habitude de consulter : bilan, compte de profits et pertes, cash flow (compte de flux de trésorerie).  Comment les banquiers étaient-ils censés comprendre si l’entreprise était rentable ? L’entreprise disposera-t-elle de liquidités au moment du premier remboursement ?

Voilà le client avec des chiffres griffonnés dans un cahier, c’était sans queue ni tête.  La banque peut-elle réellement gagner quelque chose en octroyant de petits prêts ?

Pour les grandes entreprises, c’est une autre histoire ! Les grandes entreprises présentent tous les états financiers noir sur blanc et offrent des biens immobiliers en garantie.

Les biens immobiliers seront faciles à vendre si l’entreprise ne rembourse pas son prêt.  Et le profit sera rapide et important ! Un mois de travail, quelques risques à prendre, oui, mais le profit, le profit !

Le temps a passé, le nombre de petites entreprises a augmenté et il semblait y avoir un groupe de clients avec lequel aucune banque ne savait travailler, et cela ressemblait à une niche.

Toutes les grandes clientes semblaient être prises.  Les petites entreprises se développaient.  Cela signifiait qu’elles n’étaient pas si risquées et pouvaient même être rentables… très rentables.

Les banquiers ont également commencé à entendre dire qu’il y a des pays où les petites entreprises génèrent 60 ou 70 % du PIB.

Les banques ont commencé à essayer de comprendre comment approcher ce groupe.

Des banquiers sur le terrain

Les banques intelligentes ont décidé d’examiner les risques que courent les petites entreprises et les moyens de les minimiser.

Si les risques semblent plus élevés que ceux des entreprises et que les montants des prêts sont faibles, le taux d’intérêt doit être plus élevé pour que les banques puissent gagner de l’argent.  Il est particulièrement important que les petites entreprises n’aient pas de bonnes garanties.

Les banquiers se rendent sur le terrain, vont voir les petites entreprises sur leurs sites et apprennent – comment les entreprises elles-mêmes savent si elles ont fait des bénéfices ou non ?

Comment elles tiennent leurs stocks de marchandises ? Comment elles recherchent des fournisseurs et des clients et effectuent des transactions ?  Après avoir parlé aux clients, brassé des papiers, examiné des livres, les banquiers essaient de mettre toutes les informations qu’ils ont recueillies dans leurs formulaires habituels ou, plutôt, de créer des formulaires pour les clients – bilans, comptes de résultat, états des flux de trésorerie.

Il s’est avéré que pour les petites entreprises, c’était assez facile à faire !  Oh oui, il faut courir un peu partout et transpirer un peu, parcourir les marchés de rue et les entrepôts, avoir de longues conversations sur de petites choses… mais cela donne des résultats.

Le client obtiendra un prêt, le remboursera avec des intérêts, et tant le client que la banque seront heureux. Prenez un prêt, restez zen Très vite, le prêt aux petites entreprises est devenu une activité importante des plus grandes banques du pays.

Les banquiers se sentaient investis d’une mission sociale, promoteurs du progrès. Les entreprises qui partaient de rien se développaient rapidement et se transformaient en moyennes et parfois en grandes entreprises. Ainsi, les banques se sont intéressées aux petites entreprises et puis sont tombées amoureuses d’elles.

Elles ont trouvé un moyen de s’en occuper ; elles ont commencé à se renseigner sur les besoins et les préférences des clients, ont créé des produits spéciaux, et ont désigné des gestionnaires de comptes chargés de ne s’occuper que des « petits ». Au début, les banques accordaient des prêts en espèces, mais elles ont ensuite encouragé leurs clients à ouvrir des comptes et les ont convaincus d’essayer d’autres services.

Les petites entreprises ont commencé à utiliser des comptes, sont sorties de l’ombre et, finalement, ont compris qu’elles ne pouvaient pas vivre sans les banques. C’est l’histoire de la construction d’une relation et d’une coopération mutuellement bénéfique entre les banques et les petites entreprises dans un pays.

On peut dire beaucoup de choses différentes sur le pays en question, sa diversité économique et sociale, mais globalement les banques et les petites entreprises y ont trouvé leur modus vivendi. Jusqu’à présent, tout va bien.

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