Le mois de mars 2021

Une note sur les initiatives civiques pacifiques de l’hiver 2021 et sur une excellente exposition de fresques du XVIIe siècle que les restaurateurs des années 1930 ont sauvées de la violence destructrice du pouvoir d’État. Il s’avère que, par leur profession et compétence ils ont réussis à y résister.

Pour qui sonne le glas.  Saint-Petersbourg

Le sculpteur Roman Shustrov, habitant de Saint-Pétersbourg et l’auteur de cette sculpture, un « ange qui lit » dans le Jardin Izmaylovsky, est mort du covid en août 2020. Un ange de plus, cette fois triste, est apparu sur le quai de la rivière Karpovka comme monument aux médecins succombes et au sculpteur lui-même.

Il y a une histoire derrière cela : au début de la pandémie, les médecins ont commencé à mourir en masse de l’infection, il y avait un manque de moyens de protection. L’initiative civile a réuni tous ceux qui voulaient et pouvaient aider : ils ont collecté des fonds, acheté des respirateurs et les ont distribués aux hôpitaux.

Une autre initiative non officielle a créé le « Mur de la mémoire » dans la rue Malaya Sadovaya, avec une liste des noms et des photos du personnel médical décédé.

Puis, du côté des autorités officielles, « la glace a été rompue », les familles des médecins et du personnel hospitalier décédés ont commencé à recevoir des indemnités.

La même chose s’est produite avec ce triste ange : l’initiative privée d’un signe commémoratif au lieu d’un mur temporaire, un don de la famille du sculpteur à la ville de Saint-Petersbourg… Et puis l’aide des fonctionnaires de l’arrondissement de Petrograd et la participation du gouverneur de la ville à l’inauguration du monument. Mais le monument de l’ange reste un mémorial du peuple, l’écharpe y est aussi attachée. C’est un ange très triste, fatigué du désespoir et de l’impuissance.

Moscou, mon quartier

Manifestations civiques dans mon quartier, Gagarinsky, contre la construction d’une station de métro en surface. Si elle est construite, la bande verte entre la chaussée et les maisons sera anéantie. Les résidents ont donné un nom à chaque arbre et y ont attaché des panneaux.

« Fresques d’un monastère inondé » au Musée d’architecture

Ces fragments de peintures murales datant du milieu du XVIIe siècle sont devenus des pièces de musée à la suite de cataclysmes sociaux et non naturels. Dans les années trente du siècle dernier, les autorités soviétiques ont décidé de modifier le système d’approvisionnement en eau de la Volga supérieure, ce qui s’est transformé en une catastrophe écologique et culturelle.

Un réservoir d’eau a été construit, et des villes et villages russes anciens des régions d’Ivanovo, de Tver et de Gorki, avec leurs monuments des XVIe et XIXe siècles, ont été submergés. Parmi eux, le monastère de la Trinité-Macarius, près de la ville de Kalyazin, a été perdu.

Aujourd’hui, seul le clocher de la cathédrale s’élève là au milieu des eaux. À la fin des années 1930, incapables de résister au programme gouvernemental, des architectes, des restaurateurs et des historiens de l’art ont tenté de mener des recherches expresses sur les zones inondées et, si possible, d’en sauver au moins des fragments.

Sur les instructions de l’Académie d’architecture, un petit groupe de spécialistes organisé par le Musée d’architecture, composé d’architectes, d’un artiste-restaurateur, d’un tailleur de pierre, de maquettistes – 21 personnes en tout – a réalisé dans les plus brefs délais (novembre 1939-septembre 1940) un vaste ensemble de travaux de fixation scientifique de tous les anciens bâtiments du monastère, de recherche, de mesure et de démontage des fragments architecturaux.

Le travail le plus difficile et tout à fait unique, à savoir la déposition des peintures murales, a été réalisé en deux mois seulement (janvier-février 1940). Plus de 185 mètres carrés de peintures ont été retirés des murs et montés sur une nouvelle base.

La technique d’enlèvement consistait en ce qui suit. Le long du périmètre de la composition sélectionnée, on réalisait une rainure profonde d’une largeur de 6-8 cm jusqu’à la maçonnerie du mur. On scellait la surface frontale de la peinture avec plusieurs couches de gaze sur des adhésifs végétaux et bien séchée.

Ensuite, à l’aide de couteaux étroits et fins de différentes longueurs, on séparait le plâtre de la maçonnerie, en commençant par le bas et les côtés. Lorsque la fresque restait accrochée sur l’étroite bande supérieure de plâtre non séparée du mur, on posait un panneau de même taille sur la face avant. Enfin, on séparait la dernière bande de plâtre du mur et on descendait le panneau avec la peinture sur le sol.

Les peintures de la cathédrale de la Trinité datent de 1654. La composition iconographique du tableau est traditionnelle pour le milieu du XVIIe siècle. J’ai été frappé par les images d’Adam et Eve avant le péché originel – ils ont exactement les mêmes corps.

Des scènes de l’Apocalypse de Jean l’Évangéliste:

Comment ne pas perdre soi-même

Comment ne pas perdre soi-même si l’on ne veut pas coopérer avec un pouvoir violent, mais que l’on ne peut pas non plus s’y opposer ?  Nous cherchons les proches parmi les étrangers, ou nous nous accrochons les uns aux autres, ou nous nous accrochons à une profession, et – ou – nous nous retirons dans la vie privée, nous nous occupons de la famille et du jardin, nous nous enfuyons à la dacha ou au village. Il est difficile d’appeler cela une opposition au régime.

Qu’arrive-t-il à ceux qui l’affrontent ouvertement et efficacement ?  J’ai écrit en janvier sur Yulia Galyamina et Alexei Navalny.  Le parti Russie Unie a retiré à Galyamina son mandat de député – pour avoir organisé des protestations.  La décision a été prise à huis clos, où ni Galyamina ni ses électeurs n’ont été autorisés à entrer.  Alexei est en prison, il mets des posts joyeux sur Instagram, et après des mois sans se plaindre, il ne peut plus supporter silencieusement la douleur dans le dos, mais il n’est pas soigné, et il est réveillé la nuit pour être filmé par une caméra comme mesure préventive contre l’évasion.

Je pense encore et encore aux fresques du XVIIe siècle, sauvées des ravages violents de l’État par des restaurateurs dans les années 1930. Il s’avère que ces personnes, de par profession et compétence on réussis à y résister.

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