La Maladie

En décembre 2020, j’ai eu un covid-19. En novembre, mes parents l’ont eu. Heureusement, ils s’en sont bien sortis. « Que le soleil brille toujours », comme nous le chantions enfants, que la famille soit toujours là.

En quête de sens et de pain quotidien

En avril, une société appelée MFS, qui m’emploie depuis mars 2019, m’a fait savoir qu’elle n’avait pas de travail pour moi. En été, j’ai donné un cours en ligne « Féminité. Masculinité. Égalité  » aux adolescents, les enfants de mes amis. J’ai pensé qu’il serait bon de rassembler les réflexions et les expériences du programme « Femmes en affaires au Maroc », mon récent projet. Cependant, le sujet – « Qu’est-ce que l’égalité des sexes ? – s’est avéré à la fois complexe et fascinant. J’ai décidé de continuer à lire et à écrire sur ce sujet et de mettre sur pied un cours pour adultes en 2021, afin qu’il y ait plus de connaissances dans le monde et de débats pacifiques.

 

Mon ami bien-aimé parlait en connaisseur des femmes et leurs besoins. Je m’y opposais: « Moi, je ne suis pas comme ça ». « Eh bien », riait-il, « tu es une marge d’erreur ». Ces recherches de genre semblent être ma façon de continuer à discuter nos sujets controversés.

J’ai commencé à donner des cours particuliers d’anglais. « Langue anglaise et littérature d’Europe occidentale » est la profession que j’ai choisie à 17 ans, que j’ai commencé à exercer à 21 ans et que j’ai abandonnée à 24 ans pour me tourner vers le management consulting. Ce qui est bien, c’est que je ne me suis jamais lassée ou déçue d’enseigner.

En me préparant pour mes cours ces jours-ci, je lis sur différents sujets. Lors d’un cours, je me sens un peu comme une psy, car je travaille sur la connexion émotionnelle, et un peu comme une actrice, ce qui semble fonctionner comme une auto-thérapie. La prochaine étape consistera à réunir mes élèves pour discuter de divers sujets en ligne : monarques, finance, technologie, livres, films… J’espère que nous aurons tous beaucoup de plaisir à nous instruire et à nous divertir.

Fleurs

En 2020, Moscou a connu un été long et chaud. J’habite un grand bâtiment construit dans les années 1950, habité, à son tour, par de personnes toutes différentes: des universitaires, des fonctionnaires, des hommes d’affaires. Certains voisins sont très gentils, d’autres moins. « Pourquoi plante-t-elle des fleurs près de notre entrée ? » – « C’est que ses fenêtres donnent sur ce coin de la cour ».

J’ai suggéré que nous, voisins, contribuions tous à l’achat de petits arbres et buissons dans un jardin botanique et que nous les plantions dans des endroits vides de la cour. Personne ne s’est enthousiasmé, donc ce sera mon projet de jardinage à moi .

C’est attendu et incroyable

En 2020, l’État russe a organisé une vaste campagne de promotion pour persuader les citoyens de voter en faveur de plusieurs amendements constitutionnels. Tout ça pour un amendement qui supprime toute limite maximale des mandats présidentiels. Le président en vigueur semble vouloir prolonger indéfiniment son séjour au Kremlin, d’où la nécessité de modifier la loi. Les autorités ont agi avec cynisme, par exemple en proposant dans les librairies une version imprimée de la constitution modifiée avant même le vote.

La seule ville où les gens ont protesté en 2020 a été Khabarovsk, avec des exigences similaires à celles de nos protestations à Moscou en 2019 – contre les poursuites judiciaires pour des raisons politiques.

En août, il a été impossible de ne pas suivre, jour et nuit, les événements en Biélorussie. J’ai admiré les manifestants et j’ai été choquée par l’horrible violence de la police.

 

Le chef de l’opposition russe a été empoisonné en août, peu avant d’embarquer sur un vol de Tomsk à Moscou. Grâce au pilote qui a pris la décision de faire atterrir l’avion et à une brigade d’ambulanciers qui lui a donné un antidote, Alexey Navalny a survécu.

L’empoisonnement, le complot, une sauvagerie me fait sentir mal de vivre dans le pays où cela est possible. J’avais l’habitude de dire que je vis à Moscou simplement parce que je n’ai pas réussi à m’arranger pour vivre ailleurs. Je ne regarde pas la télévision et je ne m’engage pas auprès des établissements représentant l’État, les autorités, etc. Néanmoins, il est impossible de fuir la réalité.

Les mots « amendements à la Constitution » dans le bulletin de vote ont été imprimés avec une erreur grammaticale en russe. Ces millions d’exemplaires ont involontairement documenté la négligence des personnes actuellement au pouvoir.

Moscou

Moscou est une ville où les choses changent rapidement, repoussant les souvenirs du passé. Il y avait autrefois des trolleybus partout, mais à la fin de l’année, ils avaient tous été remplacés par des bus électriques. Les opposants à ce changement ont souligné que c’est les promoteurs qui obtiendront désormais les parkings de nuit des trolleybus dans le centre de Moscou.

On dit souvent que la nouvelle construction à Moscou est prédatrice. De combien d’autres bâtiments gigantesques cette ville a-t-elle encore besoin ? Certains plans de construction mettent en danger un équilibre fragile existant dans des zones de la ville habitées depuis longtemps avec des parcs verts, des étangs et des terrains de jeux. Ceux qui veulent arrêter les rénovateurs doivent consacrer toute leur vie à des pétitions et des manifestations de rue. Dans mon quartier, Gagarinsky, nous avons un jour arrêté un projet de transformation d’une route en autoroute, mais d’autres tentatives n’ont pas eu autant de succès. Les autorités moscovites semblent échanger des faveurs avec les entreprises de construction depuis des années.

Le centre ville est très décoré. Du printemps à l’automne, les jeunes arbres se dessèchent pour être remplacés par des nouveaux. De joyeux parterres apparaissent de nulle part à une vitesse stupéfiante : les fleurs, qui poussent probablement dans des serres, sont transportées dans des boîtes, et des ouvriers en gilet orange les arrangent en compositions sophistiquées. « Les fleurs sont éphémères, on ne les note pas », dit le géographe au Petit Prince. « Je suis sérieux, moi, je ne m’amuse pas à des balivernes » – entendit le Prince de la bouche d’un homme d’affaires sérieux. Avec des fleurs éphémères, on peut faire de l’argent à partir de rien: notez-les comme vous voulez, les fleurs se taisent.

Les bulldozers défoncent les trottoirs, qui ont l’air parfait mais qui seront néanmoins remplacés. Les perceuses et les marteaux sont implacables et très bruyants. Les bruits, j’en ai peur, font pénétrer une idée dangereuse, à savoir que tout peut être détruit puis reconstruit.

Certains fêtent, d’autres ont la gueule de bois

Les sociétés minières opèrent en Sibérie et dans le nord de la Russie mais sont enregistrées à Moscou. Les sociétés versent des centaines de milliards de roubles au budget fédéral de l’État, une taxe sur l’extraction des ressources. Ni les entités locales ni les entités régionales ne reçoivent cet argent.

En octobre 2020, un oléoduc d’Usinsk situé dans le champ pétrolifère de Kharyaga, dans le district autonome de Nenets, s’est rompu et le pétrole s’est déversé dans la rivière Kolva. L’état d’urgence a été déclaré en raison des conditions de l’eau et de l’air. Les divisions locales de Lukoil ont reçu l’ordre de nettoyer les dégâts, mais la partie affectée – les résidents locaux – n’ont aucun pouvoir sur les sociétés de production ou l’État.

J’ai entendu des amis en Sibérie parler d’émissions toxiques des usines et d’avalanches causées par des explosions liées à l’exploitation minière souterraine. La population locale croit que les vents anormalement forts qui arrachent les toits, renversent des voitures et jettent les passants sur la chaussée sont une revanche de la nature.

Lorsque l’état d’urgence a été déclaré dans la ville d’Usinsk, Yulia Galyamina, députée municipale de Moscou, a fait part de ses commentaires sur les efforts des militants locaux. Elle a parlé d’une initiative populaire, un comité pour la protection de la nature, qui fonctionne depuis les années 1990 : « Seules de telles personnes permettent à ce pays de continuer à fonctionner. Grâce à eux, nous avons encore une partie de la nature à sauver ».

Galyamina a été condamnée par le tribunal de Tverskoy de Moscou à deux ans de mise à l’épreuve en décembre 2020. Elle avait fait campagne contre les amendements constitutionnels. Les procureurs de l’État demandaient une peine de trois ans de prison pour « violation des règles de conduite des rassemblements et des piquets de grève », pour des actions qui « ont créé une menace pour la santé des citoyens, perturbé les piétons et les transports ». Cette décision du tribunal montre clairement que la participation à des réunions et la libre expression d’opinions peuvent être interprétées comme une menace pour la sécurité de l’État et la stabilité publique. Les cibles sont sans aucun doute les activistes sociaux et politiques.

Mes parents

« Ce sont de telles personnes qui font vivre ce pays » – c’est ce que j’entends souvent dire de mon père, constructeur en chef d’une usine de composants radio à Smolensk. Alors qu’il était à l’hôpital avec covid-19, ne se sentant pas du tout bien, il répondait quotidiennement à des dizaines d’appels du travail. Je sais qu’il a souvent été nerveux au travail, à différents moments de sa vie, et c’était des problèmes de personnes, pas des problèmes techniques.

Quand je me fait du souci et lui dis qu’il faut quitter l’usine si on ne se sent pas apprécié et qu’en plus on doit traiter avec des gens mal élevés – il répond: « Je me sentirai comme un traître si je pars maintenant ». Lorsque je me fâche et que j’exige qu’il pense à devenir consultant à temps partiel plutôt que de consacrer 60 heures par semaine à son travail (parce que il y a des personnes qui ne font pas leur travail correctement) il me dit : « Je ne sais pas diriger comme observateur occasionnel ».

Et portant, à un moment de son covid, il a confessé que depuis plus de cinquante ans il n’avait vu que le tourniquet de sa porte d’usine tous les matins et tous les soirs, qu’il en avait assez, qu’il est temps de vivre pour la famille.

Mes parents, des professionnels très estimés par leurs collègues, des gens travailleurs, dignes et délicats, n’ont jamais voulu quitter la Russie ou Smolensk. Je ne les ai pas entendus se plaindre qu’ils pourraient avoir un meilleur salaire ou une vie plus confortable. Mon père avait l’habitude de faire tomber des glaçons du toit et de pelleter la neige des chemins quand j’étais petite et nous vivions dans une maison de huit appartements.

Quand nous avons déménagé dans un bâtiment à plusieurs étages il s’occupait toujours de vide-ordures bouchés et réparait les bancs cassés dans la cour ou les serrures de la porte d’entrée tombées en panne.

Ma mère continue à nettoyer l’escalier de l’immeuble. Elle est toujours bizarre que les voisins ne semblent pas s’en soucier. Elle plante des fleurs sur des parcelles de terrain près de l’entrée de l’immeuble, s’habille avec soin et se regarde dans le miroir avant d’aller faire des courses. Chaque jour, elle invente de nouvelles recettes de cuisine et chaque mois, elle change les rideaux et les nappes tricotées. Elle parle aussi avec les plantes en pot. Elle s’inquiète souvent pour ses enfants et ses petits-enfants, en particulier pour « les garçons » – son fils et son petit-fils.

Mes parents, comme des atlantes, soutiennent les cieux de l’Univers au-dessus de moi. Leur sentiment de responsabilité l’un envers l’autre et envers la famille n’a pas de limites. Ce sont des gens honnêtes et raisonnables qui ont toujours évité les gros mensonges et les ragots insignifiants. Cependant, depuis sept ans, lorsque nous nous réunissons à l’occasion d’anniversaires et de vacances saisonnières, nous parlons davantage de notre passé que du présent auquel nous sommes confrontés, comme si nous vivions dans des mondes différents. Je ne peux m’empêcher d’être triste au sujet du vote de mes parents pour les amendements constitutionnels. J’essaie de comprendre pourquoi, comme beaucoup d’autres, ils semblent aveugles et acceptent les choses qui se passent ici et qui ne devraient pas être acceptées.

« Agents étrangers”

Avec ma collègue, experte en genre et conférencière dans une école de commerce en France, nous avons parlé de son cours sur la protection de l’environnement. J’ai mentionné une installation minière dans une ville de Sibérie, qui empoisonne l’air par des extractions nocives.

Les oligarques russes qui gèrent l’usine-monstre sont connus à Moscou et à Saint-Pétersbourg pour leur soutien aux festivals de théâtre et de musique. Les activités philanthropiques menées loin dans les capitales n’impressionnent pas les populations locales qui ont du mal à respirer lorsque le vent souffle du côté de l’usine.

« Pourquoi ces habitants ne protestent-ils pas ? » – a demandé le collègue. « Ils dépendent de cette installation minière, presque toutes les familles ont un lien avec elle, les gens ne veulent pas perdre leur emploi », ai-je répondu. « Mais s’ils protestent dans le cadre d’une organisation publique, alors il n’y a pas de risque pour un individu, ou… ? »

En Russie, il n’y a pas de contrepoids aux institutions du pouvoir. La seule organisation civique à laquelle je participe est l’association de logement, que nous, voisins, avons enregistrée pour avoir une influence sur une société censée entretenir notre immeuble. Quant aux initiatives environnementales et éducatives soutenues par les organisations internationales, elles appartiennent à l’histoire.

En 2012, des changements sophistiqués sont apparus dans la loi russe sur les organisations à but non lucratif. Les ONG impliquées dans des activités politiques et recevant un certain financement étranger ont reçu un statut d' »agents étrangers ». Cela signifie une plus grande attention de la part des régulateurs de l’État, plus d’audits et plus de rapports obligatoires. En outre, ces organisations ont été obligées de marquer leurs publications, affiches, bannières, etc. avec une étiquette visible indiquant « agent étranger ».

Tout cela serait amusant si ce n’était pas si triste. Depuis l’entrée en vigueur des modifications législatives, de nombreuses petites organisations à but non lucratif et des bénévoles individuels ayant des racines internationales ont quitté le pays. Selon la loi, l' »activité politique » est comprise au sens large. Quiconque tente d’influencer l’opinion publique de quelque manière que ce soit est considéré comme étant impliqué dans la politique.

Il y a deux ans, les médias internationaux travaillant en Russie ont obtenu le statut d' »agents étrangers ». En décembre 2020, cinq personnes – trois journalistes, un défenseur des droits de l’homme et une artiste – ont également été déclarés agents étrangers. L’artiste, Daria Apakhonchich, a été invitée à démissionner de la Croix-Rouge où elle avait travaillé pendant des années en enseignant le russe aux migrants. Ses employeurs affirment que la Croix-Rouge est impartiale et qu’elle, elle est engagée, elle doit donc partir.

J’ai utilisé des images montrant l’art de rue de Daria dans mon cours en ligne sur l’égalité des sexes. Sa série d’affiches de 2019 met en lumière le problème de la violence domestique, qui est en fait dé-criminalisée dans la Russie d’aujourd’hui. Le projet de loi sur la violence domestique a été discuté depuis les années 2010, fortement critiqué et récemment dépriorisé.  Les fonctionnaires et les politiciens au pouvoir trouvent le sujet dangereux car il touche clairement aux questions des droits de l’homme.

Photo, affiche : « Je n’accepterai pas l’horrible héritage de la violence, je ne le transmettrai pas »

Propagande

En russe, la combinaison même des mots « agent étranger » s’associe à l’image d’un étranger désagréable ou même hostile. Enfant, je lisais des nouvelles d’écrivains soviétiques où les agents de la gendarmerie tsariste étaient des personnages vicieux représentant la puissance de la Russie impériale, « la prison des peuples ».

Les agents dénonçaient les combattants secrets du régime tsariste à la police, la « gendarmerie ». Une des nouvelles, « Tania la révolutionnaire », raconte l’histoire d’une jeune fille courageuse, Tania, qui aidait ses parents. Lorsque des « agents » et la police sont venus fouiller la maison de la famille de Tania, celle-ci, sans que personne ne s’en aperçoive, a habilement utilisé une grande cruche pleine de lait pour cacher des lettres métalliques utilisées pour produire des affiches anti-tsars. Cette mesure ingénieuse a permis de sauver son père de la prison.

Un autre exemple est tiré d’une chanson. Une fois par semaine, pendant nos années de primaire et de collège, nous avions des leçons de musique. Notre professeur jouait de l’accordéon, on nous donnait des morceaux de papier avec les paroles des chansons, pour chanter et apprendre par cœur. Ma préférée était « Le bouton marron », qui raconte l’histoire d’un espion étranger qui se rendait à pied à un avant-poste de la frontière soviétique, pour examiner les fortifications.

Pour nous, c’était quelque chose de tout à fait réel – nous vivions à Smolensk, une ville très proche de la Biélorussie et des frontières occidentales de l’URSS. L’annexion des territoires d’Europe de l’Est par l’Union soviétique en 1939 était encore un souvenir vivant dans certaines familles.

Nous avons chanté et imaginé l’époque où certaines frontières soviétiques étaient floues et faciles à franchir. L’agent étranger de la chanson – un espion vicieux – n’avait pas remarqué qu’un bouton de la poche de sa culotte avait disparu. Le bouton marron avec des lettres non russes trainait dans la poussière d’une route de campagne. Un écolier du nom d’Aliocha l’a remarqué, l’a ramassé et a signalé la trouvaille aux gardes-frontières. Les gardes ont fouillé les villages voisins pendant quatre jours et ont finalement trouvé l’espion occidental – un jeune homme avec une carte géographique du lieu dans une poche dont le bouton avait disparu.

Tous les trois me sont très chers – la Tania, l’Alyoshka, le courageux espion sans bouton. La propagande de mon enfance semble inoffensive et mignonne. Le monde était certainement meilleur à l’époque. Toute ma famille, tous mes proches étaient encore là.

Je trouve assez étrange que certaines personnes de l’ex-Union soviétique chérissent le souvenir non seulement de leurs jeunes années, mais aussi d’un paradis perdu. Comme si tout allait bien dans ce grand pays, et que de rares difficultés avaient été causées par des ennemis extérieurs, étrangers.

Je trouve également étrange que certains croient en des réalisateurs étrangers qui ont orchestré les manifestations de Minsk l’été dernier, la révolution orange ukrainienne en 2005 et Maidan en 2014 ainsi que la révolution du jasmin et le printemps arabe. Qui sont ceux qui ont détruit l’URSS, son industrie, son armée, son système éducatif, la moralité des gens, qui ont fait de la Russie un ennemi des anciens « pays frères » ? Bien sûr que des impérialistes et leurs espions.

Boris Vishnevskiy, député de Saint-Pétersbourg, plaisante tristement à ce propos sur Facebook le 4 novembre 2020 (le jour traditionnel des élections présidentielles aux Etats Unis) : « … aujourd’hui, ils élisent une personne qui, pendant les quatre prochaines années, va réduire les pensions en Russie, qui va augmenter les prix, creuser des trous dans les routes, couper le gaz, fermer les hôpitaux, jeter des déchets sur les terrains de jeux des enfants. La personne qui sera élue ne le sait pas encore ».

Ou peut-être que je me trompe et que personne ne pense jamais rien de tel. Alors que le soleil disperse un nuage de smog au-dessus de Moscou, ses rues et ses parcs deviennent bondés, et les gens semblent très heureux, comme si la seule chose qu’ils désirent c’est le soleil.

Le plus important

En 2020, grâce à ma fille, j’ai commencé à assister aux merveilleuses soirées de poésie « De la part de l’auteur » dans le nouvel espace du Théâtre des Nations. Un espace exemplaire, cinq caméras ; la voix et le regard du poète qui récite ses poèmes devant le public sont enregistrés. La langue russe nous sauve aujourd’hui et restera à jamais.

Le réalisateur Roma Liberov, auteur de « De la part de l’auteur » et de sept films sur des écrivains russes, cherchait en août sur Facebook une dactylographe pour le dernier épisode du film en mémoire d’Andrei Platonov. Il m’a trouvé, et pour moi, une machine à écrire, une robe des années 70 et des lunettes à monture de corne. En septembre, ils étaient encore en train de tourner, achevant le travail de plusieurs années, et en novembre, « L’ homme le plus profond » a été lancé.

Les génériques apparaissent sur l’écran tapés sur une machine à écrire, au son des touches, rappelant le samizdat. Cette dame âgée à l’écran, c’est moi ? Oui, c’est moi. Oui, et c’est comme ça.

J’ai lu ce que Roma dit dans diverses interviews sur les poètes, la littérature, la politique, la vie en Russie. Il a déjà fait tant de choses. Et tant de gens sont à ses côtés, et ensemble ils créent des choses nouvelles, sans précédent. Je n’ai pas encore eu une vraie occupation. Et qu’est-ce que j’ai eu ? Les lettres, les langues, les appartements loués, la banque, si courageuse, deux enfants, toute seule… Je me justifie. Mais je suis toujours là, et il y a mon temps, et il doit être rempli. Et il y a aussi le bonheur. Et l’amour.

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!

Mon ami est mort d’une mort amère le 19 janvier 2020. Comment il a pu me quitter, je ne comprends pas. Il a dit que je ne le rendais pas seulement heureux, mais que je le rendais vivant. Il m’a laissée aimée et amoureuse. Je marche plus lentement dans la rue maintenant parce que j’essaie de rester très droit comme lui. « Qu’est que tu a trouvé en moi, tu, si saint et si juste ? » – « Eh bien, tu es beau, svelte, haut. Tu as un dos si beau et droit – comme un homme né dans un pays libre – « Tu as vu mes ailes ! Enfant, pour me tenir droit, je m’imaginais que j’avais des ailes, et qu’elles écartaient mes épaules et me tiraient vers le ciel ». Ces ailes, je les porte maintenant, et ils me soutiennent, et «l’amour est aussi fort que la mort ».

 

Lechaim

Pour l’année 2021, je vous souhaite d’être auprès de vos proches, de les serrer dans vos bras, de les tenir dans votre cœur, de leur tenir la main. Vent chaud et soleil, neige propre, rivière du matin, mer libre, odeur de linge frais, café dans votre tasse préférée, vin dans un beau verre, pommes d’automne croquantes, feu de camp, et d’autres enfants, tout aussi heureux que nous l’étions alors, courent dans les montagnes et construisent des cabanes. « Regarde mes roses », dit maman, « et celle-ci, c’est la grand-mère qui l’a plantée ». Il est là, le bonheur, et qu’il arrive, tous les jours quelque chose comme ça.

Close