Le group de lecture et « Le Maître et Marguerite »

Nous lisons les classiques russes en même temps que les classiques britanniques. Nous parlons – de ce que nous voulons : en ligne, le mardi, à 19 heures, heure de Moscou. Ce post est consacré à la discussion du roman Le Maître et Marguerite.

Premier colloque

Le premier chapitre du « Maître et Marguerite » est une bonne opportunité pour discuter du contexte social et de l’époque décrite dans le roman. L’action se déroule à Moscou, près des étangs du Patriarche, dans le centre-ville. Le nom historique rappelle les trois étangs et la résidence du patriarche situés ici au XVIIIème siècle.

Aujourd’hui, l’endroit est associé à de l’immobilier coûteux et à des cafés à la mode. Il y a un grand étang, avec des arbres et des bancs autour, comme dans le roman. L' »appartement coquin » au 10, rue Sadovaya-Triumphalnaya (Sadovaya 302-bis dans le roman) accueille le musée de Boulgakov depuis le début des années 2000. Le bâtiment de la salle Tchaikovskii, le théâtre de Vsevolod Meyerhold en 1922-1938, pourrait être le « Théâtre Varieté » dans le roman, avec une scène ronde et un amphithéâtre. Un petit parc vert dans la cour à côté du théâtre existe toujours ; la rue Spiridonovka est également existe aussi. Le manoir du boulevard Tverskoï décrit comme le club des écrivains n’est pas loin (aujourd’hui c’est l’Institut littéraire Maxime Gorki). On peut facilement suivre la route d’Ivan qui courait d’ici à la rivière Moscova.

Quant à l’époque, mai 1937, c’était l’enfer. Pourtant, les tilleuls près de l’étang étaient en fleurs et les gens continuaient à aimer, lutter et espérer. L’auteur du roman fait des blagues sur les personnes qui disparaissent, les portes scellées, le « problème du logement » qui a déformé les Moscovites, les employés polis d’une certaine organisation… Tout cela pourrait être une pure joie à lire et à rire, si nous ne connaissions pas, aujourd’hui, le Goulag et les purges. Comment le « contexte vertical » (c’est-à-dire ce qui est écrit « entre les lignes ») se traduit-il en anglais ? Dans notre groupe de lecture, les mêmes choses étaient lues différemment par les russes et par les participants britanniques.

« Le Maître et Marguerite » abonde en références à d’autres œuvres littéraires, et à la musique. Il s’agit en effet d’un livre sur les livres, avec des liens à cliquer, parlant le langage d’aujourd’hui. Cependant, même sans plonger profondément dans les années 1930 et dans de nombreuses associations d’opéra, le lecteur appréciera le texte, et la bande sonore : « elle… s’envola dans la rue suivie par le tourbillon effréné de la valse », « c’était le fameux jazz de Griboïedov qui attaquait son premier morceau » , « et l’orchestre se mit – non pas à jouer, ni à entonner, ni à scander – mais bien, selon la répugnante expression du chat, à dégueuler une invraisemblable marche, avec un tel laisser-aller que cela ressemblait vraiment à on ne sait quoi. »

Dans le premier chapitre, deux écrivains entrent en conversation avec un grand étranger au bâton avec un pommeau noir en forme de tête de caniche, « l’œil droit noir, le gauche – pour une raison quelconque – vert ». L’étranger, « un professeur de magie », parle de Ponce Pilate et, en passant, prédit la mort prochaine de l’un des écrivains. La prophétie se réalisera assez vite. Pourquoi le propagandiste cultivé Berlioz est-il puni, et par qui ? Cette question soulève le thème de l’engagement politique des écrivains soviétiques, de la censure et de la vocation d’artiste. Ce sont de grands thèmes, à la fois dans le roman de Boulgakov et dans la vie russe, à l’époque et aujourd’hui. Pour équilibrer la discussion sérieuse avec un peu d’humour, le groupe a regardé les traductions anglaises des expressions ironiques de l’étranger (il se fait appeler Professeur Woland).

Les participants ont également lu l’épigraphe du Faust de Goethe et son contexte plus large, en russe et en anglais, et ont « joué » plusieurs dialogues.

– Effectivement, nous ne croyons pas en Dieu, répondit Berlioz en se retenant de sourire de l’effroi du touriste, mais c’est une chose dont nous pouvons parler tout à fait librement. L’étranger se renversa sur le dossier du banc et lança, d’une voix que la curiosité rendait presque glapissante : – Vous êtes athées ? – Mais oui, nous sommes athées, répondit Berlioz en souriant. « Il s’incruste, ce pou d’importation ! » pensa Biezdomny avec colère. – Mais cela est merveilleux ! s’exclama l’étranger stupéfait, et il se mit à tourner la tête en tous sens pour regarder tour à tour les deux hommes de lettres. – Dans notre pays, l’athéisme n’étonne personne, fit remarquer Berlioz avec une politesse toute diplomatique. Depuis longtemps et en toute conscience, la majorité de notre population a cessé de croire à ces fables. A la fin du premier colloque, nous avons abordé le chapitre deux, le premier des quatre chapitres en contrepoint qui forment « le roman sur Ponce Pilate », un livre dans le livre. On y retrouve les thèmes du pouvoir, de l’autorité, de la violence et du « lavage des mains ». À ce stade, le message que l’auteur transmet par sa propre interprétation de l’histoire de Jésus et de Ponce Pilate n’est pas entièrement clair. Pour se préparer à discuter de l’attitude de Boulgakov envers la religion à différentes étapes de sa vie, le groupe avait lu des extraits des conférences de Marietta Tchoudakova. Dans leur intégralité, les conférences peuvent être trouvées ici . Avant chaque colloque, les participants reçoivent un cahier d’exercices, qui comprend des extraits du roman préparés pour une lecture de jeu de rôle, et des citations d’ouvrages universitaires sur Boulgakov.

Colloque Deux, chapitres 3-4

Tout d’abord, nous nous sommes concentrés sur l’un de ces dialogues ironiques qui rappellent aux lecteurs les pénuries vécues à l’époque de la planification et de la distribution socialiste : beaucoup de choses ne sont tout simplement pas là… cela commence par le kiosque, qui dit « Boissons » mais ne propose que de l’eau tiède à l’abricot.

– Et le diable, il n’existe pas non plus ? demanda gaiement le malade en s’adressant brusquement à Ivan Nikolaïevitch. – Non plus… – Ne le contrarie pas, souffla Berlioz, toujours derrière le dos du professeur, en remuant les lèvres avec force grimaces. – Il n’y a pas de diable ! Ça n’existe pas ! s’écria, à contretemps, Ivan Nikolaïevitch, à qui toute cette compote faisait perdre la tête. C’est une punition, cet homme là ! Cessez donc de divaguer ! À ces mots, l’insensé éclata de rire, au point qu’un moineau, posé sur une branche de tilleul au-dessus des trois hommes, s’envola. – Mais c’est positivement intéressant, ce que vous dites là, articula le professeur, secoué de rire. Qu’avez-vous donc ? Quoi qu’on vous demande, rien n’existe ! Il cessa de rire tout d’un coup, et – ce qui se comprend très bien chez un malade mental – il tomba aussitôt dans l’extrême opposé ; il se fâcha et cria avec rudesse : – Donc, à ce qu’il paraît, ça n’existe pas ? – Calmez-vous, calmez-vous, calmez-vous, professeur, bredouilla Berlioz, craignant d’exciter le malade. Vous allez rester ici une petite minute, avec mon camarade Biezdomny. Je vais faire un saut jusqu’au coin, donner un coup de téléphone, et ensuite nous vous conduirons où vous voudrez. Comme vous ne connaissez pas la ville… ‘

À la fin du troisième chapitre, le ton change. Alexandre Mirer note (dans « L’éthique de Mikhaïl Boulgakov ») : « Dans le premier chapitre, Boulgakov joue un petit interlude comparant Méphistophélès et Woland : « – Heu… vous êtes allemand ? demanda Biezdomny. – Qui, moi ? dit le professeur, qui parut hésiter. Enfin… oui, si vous voulez. » La question de la nationalité est posée à Satan. La question est comique – du point de vue de Satan lui-même.

Comment peut-on penser à poser une telle question au Prince des Ténèbres ? Alors il répond, surpris : « Moi ? » Comme s’il disait : Je suis en quelque sorte la raison pour laquelle vous vous cachez derrière vos nations, comme dans des cavernes, et attendez le mal causé par des « ennemis » ou des « interventionnistes »… Puis il s’arrête soudainement et réfléchit. A quoi pense-t-il ? Pourquoi le « menteur et père du mensonge » (comme le disent les Écritures) ne donne-t-il pas une réponse rapide, une première fiction qui surgit ? Eh bien, ce n’est pas un Satan canonique, il ne se rabaisse pas en mentant.

D’un autre côté, il n’est pas non plus Méphistophélès, il n’a pas peur d’être reconnu. Il s’échappe dans les espaces littéraires entourant « Le Maître et Marguerite », pèse tout et revient avec une réponse, qui est vague, même étrange, mais tout à fait honnête dans le contexte du roman : « Je suppose, un Allemand »… On peut voir déjà par la structure même de la phrase que c’est une réponse réfléchie. Le roman est écrit sur la base squelettique de la grande tragédie allemande, comme l’indique l’épigraphe. Une tragédie écrite par un Allemand sur un Allemand… <…>

A la fin du chapitre 3, l’image de Woland s’éloigne de celle de Faust, et celà jusqu’à la fin du roman. La mort de Berlioz change tout, aussi bien l’action que le ton. Le lecteur, qui vient de ricaner – le littérateur court à toutes jambes appeler le NKVD <police secrète> – voit soudain la tête coupée rouler sur les pavés et une « lune rougeoyante » briller sur elle. L’authenticité terrifiante de l’événement nous rattrape soudain. » Fin de citation.

Le groupe a ensuite lu la scène où Ivan crie après « le professeur » et son étrange ami, puis on a suivi Ivan dans sa course vers la rue Pretchistenka. Il était impossible de ne pas rire en lisant la scène du chat noir qui essayait d’acheter un ticket et de monter dans le trolleybus. Avec Ivan, nous sommes entrés dans un appartement communautaire et avons vu sans le vouloir une étrange salle de bain, et une étrange cuisine avec de nombreux « primus » (ustensile à feu pour cusiner), un pour chacune des nombreuses familles qui y vivent.

L’espace est remarquablement étiré, déformé dans ce chapitre : Ivan court aussi vite qu’il peut mais Woland et sa suite s’éloignent à grandes enjambées. Boulgakov laisse ses lecteurs assister au rite du baptême. Ivan prend son bain dans « l’eau qui sent l’huile » de la rivière Moskova au pied de ce qui avait été la cathédrale du Christ-Sauveur (dynamitée en 1931).

Le héros enfile une chemise légère et se prépare à marcher avec une bougie, pour annoncer la venue du mal. Ici, les participants du colloque se sont amusés de la transformation du mot « tolstovka » appliqué à des articles vestimentaires – aujourd’hui, c’est ainsi qu’on appelle le « hoody » en russe, mais il y a cent ans, ce nom était appliqué à une chemise d’homme de style russe que Léon Tolstoï portait.

Ivan s’approche du restaurant des écrivains, il ne porte rien d’autre que la chemise et les sous-vêtements, mais le gardien le laisse entrer, car Ivan montre le document d’adhésion à l’association des écrivains. Ici, les participants de notre groupe qui représentent la génération des parents ont parlé aux « enfants » de l’importance capitale des documents papier en URSS, puis, s’écartant du sujet, des tampons d’enregistrement dans les passeports et des serfs du vingtième siècle – les travailleurs des fermes collectives soviétiques. Notre collègue britannique avait du mal à y croire, et les « enfants » semblaient eux aussi surpris, bien qu’ils aient certainement déjà entendu ces histoires auparavant.

Photo : Méphistophélès, par Mark Antokolsky 1883

Colloque Trois, Chapitres 5-6

Tout d’abord, nous avons discuté du chapitre cinq : Ivan vient voir ses collègues écrivains, la plupart d’entre eux sont occupés à manger, boire, danser… tandis qu’un groupe de douze (un rappel de la Cène ?) attend Mikhaïl Berlioz, dans une salle supérieure, n’ayant aucune idée du terrible accident qui a eu lieu quelques heures auparavant et à quelques centaines de mètres de là.

L’auteur décrit une atmosphère de fête et des tables garnies de nourriture, et soudain l’action se déplace dans une morgue vers la table avec le cadavre de Berlioz dessus… Puis la sinistre nouvelle parvient au restaurant, et la joie retombe. Cependant, assez rapidement, les travailleurs de la plume sont de retour à leurs collations et à leurs boissons. « Il y a de la glace qui nage dans une coupe, et, à la table voisine, des yeux bovins injectés de sang, et c’est horrible, horrible… Ô dieux, dieux, du poison ; donnez-moi du poison !… »

Le comique et le tragique sont mêlés jusque dans le nom du restaurant, Griboyedov. Il signifie « un mangeur de champignons », c’est en même temps un nom de famille réel d’un écrivain talentueux du dix-neuvième siècle qui est mort – a été tué par une foule outragée, en fait – à Téhéran où il était aux services diplomatiques, au début de ses 30 ans. Boulgakov adorait sa comédie satirique « Du malheur d’avoir de l’esprit  » écrite en 1824, mise en scène avec des coupures en 1833, en entier – en 1861. Le personnage principal, Tchatsky, parle d’une vérité inconfortable, donc « le monde » pense qu’il est un fou. Tout comme ils pensent à Jeshua dans le deuxième chapitre du roman, et à Ivan Biezdomny dans le cinquième chapitre.

Les participants ont joué une longue conversation entre Ivan et un médecin de la clinique psychiatrique, dans laquelle s’insert le discour intérieur de Rioukhine, le collègue d’Ivan. Rioukhine est un autre personnage dans lequel le tragique et le comique se sont mélangés. Du thème « le rôle de l’écrivain, le rôle de la littérature », le groupe est passé à celui de Moscou. Les réalités de Moscou sont reconnaissables. A en juger par la description du chemin vers la clinique, celle-ci se trouve au nord de Moscou, près de la rivière Moscova et d’un grand bois. Sur le chemin du retour, Rioukhine est torturé par les mots qu’Ivan lui a lancés. « La gloire ne viendra jamais à quelqu’un qui écrit de mauvais poèmes. Qu’est-ce qui les rend mauvais ? La vérité, il disait la vérité !

Rioukhine s’est adressé à lui-même sans pitié. « Je ne crois pas à ce que j’écris ! » Au dernier virage du camion, juste avant de revenir au restaurant de la Maison des écrivains, le désespéré Rioukhine se met à parler au monument de Pouchkine, le numéro un de la littérature russe. Rioukhine confond horriblement les faits, mais les lecteurs se souviennent à nouveau de la mort précoce de Pouchkine et, probablement, de bien d’autres décès prématurés et tragiques d’artistes.

Voilà pour le jeu des associations. En fin de séance, nous lisons à haute voix, en russe et en anglais, la fin du sixième chapitre, qui peint un tableau trivial mais amusant : « Un quart d’heure plus tard, Rioukhine, complètement seul et replié sur lui-même devant un plat de poisson, buvait petit verre sur petit verre en confessant qu’il ne pouvait plus rien changer à sa vie, et qu’il ne lui restait qu’à oublier. Le poète avait dépensé sa nuit en pure perte, pendant que d’autres festoyaient, et il comprenait qu’il lui était impossible de la recommencer. Il suffisait, au lieu de regarder la lampe, de lever les yeux vers le ciel pour se rendre compte que la nuit était partie sans retour. Les garçons se hâtaient de débarrasser les tables et d’ôter les nappes. Les chats qui furetaient aux alentours de la tonnelle avaient un air matinal. Irrésistiblement, le jour investissait le poète.”

Quatrième colloque, chapitres 7-8 :  » Un mauvais appartement » et « Duel d’un professeur et d’un poète »

Le groupe a commencé par un jeu de rôle du premier dialogue du chapitre 7, entre Woland et Stepan Likhodeyev, directeur du théâtre des Variétés, qui souffre d’avoir mal aux cheveux. La version anglaise d’un remède contre la gueule de bois, « the hair of the dog », et les explications données par les participants britanniques, ont suscité un vif intérêt. Les compagnons de Woland se comportent comme des magiciens qui entrent dans un mauvais appartement numéro cinquante à travers un miroir dans le couloir. La comparaison de deux traductions de la descriptions de leur apparitions nous a tous fait rire. C’est alors que l’appartement fut le théâtre d’un quatrième et dernier événement, et, cette fois, Stepan glissa à terre et ne put que griffer, d’une main impuissante, le chambranle de la porte.

La description de l’appartement est amusante, à l’exception du discours intérieur du personnage rendant ses « petites pensées les plus désagréables » à la vue des portes scellées. Lorsque Likhodeyev regarde les scellés sur les portes des chambres de Berlioz, il essaie désespérément de se souvenir de certaines « conversations douteuses sur des sujets inutiles » pour lesquelles il pourrait lui-même être arrêté.

Dans le huitième chapitre, « Le combat entre le professeur et le poète », des êtres humains calmes et civilisés s’aperçoivent enfin dans les pages du roman – des médecins, des psychiatres. Le groupe a examiné la description de la clinique à la recherche d’une réponse à la question enfantine suivante : « Est-ce un bon ou un mauvais endroit ? « Cette question est ouverte à l’interprétation. La médecine était la première profession de Mikhail Bulgakov. Est-ce qu’on peut arrêter de penser comme médecin étant devenu écrivain ?

Il y avait un long dialogue entre Ivan et le docteur Stravinskii (un autre référence à la musique) pour jouer un rôle et les remarques d’Ivan. Le chef semblait s’être donné pour règle d’être toujours d’accord et toujours content, quoi que lui dise son entourage, et d’exprimer cet état d’esprit en répétant à tout propos : « Parfait, parfait… » « Il est intelligent, pensa Ivan. Il faut reconnaître que, parmi les intellectuels, on rencontre parfois, à titre exceptionnel, des gens intelligents. On ne peut le nier. »

“L’instant d’après, Stravinski et sa suite avaient disparu de la vue d’Ivan Nikolaïevitch. Derrière le grillage de la fenêtre, dans la lumière de midi, le bois, sur l’autre rive, étalait gaiement sa parure de printemps, et la rivière étincelait.» Ces dernières lignes du chapitre m’ont rappelé une chanson interprétée par un groupe de rock’n’roll dans les années 90, à propos de collines vertes émeraude et d’une rivière étincelante et scintillante dans un certain pays de conte de fées, le meilleur du monde.

« Tu me comprendras – on ne peut pas trouver un meilleur pays ! » – une voix féminine magnifique et déchirante a chanté cela pour accompagner l’une des scènes finales d' »Assa », un film soviétique culte – probablement grâce à la musique rock. La jeune héroïne fragile a tué son petit ami mafieux, a appelé la police et s’habille  pour se rendre sur le lieu de sa détention.

Il y a un dicton russe qui dit : « il n’est pas acquis que vous ne serez pas en prison et que vous ne demanderez pas l’aumône » Un peu trop sombre dans la traduction, il semble tout à fait naturel dans la version originale, comme un conseil.

Colloque 5. Chapitres 9, 10, 11 Les cascades de Koroviev. Nouvelles de Yalta. Ivan se sépare en deux.

La réunion en ligne a commencé par un aperçu du « thème du logement ». Les participants ont comparé les expressions originales avec leurs traductions anglaises : revendications sur l’espace vital du défunt// références au surpeuplement insupportable// menaces, calomnies, dénonciations// association de logement// un gestionnaire immobilier// enregistrement de résidence temporaire. Traduites en anglais, ces expressions perdent beaucoup de leur saveur bureaucratique soviétique.

Voici un peu de contexte historique. Peu après la révolution socialiste, les autorités soviétiques ont élaboré un plan pour aménager les appartements communaux et redistribuer les mètres carrés de ceux qui en avaient « trop ». La propriété privée des logements a été abolie en 1918, à la suite des événements d’octobre 1917. De nouvelles lois soviétiques ont imposé la création d’associations de locataires de logements publics. De nombreuses personnes respectueuses des lois, mais à peine instruites, sont devenues présidentes de ces associations et ont reçu le pouvoir d’enregistrer les locataires, ou d’annuler l’enregistrement – en cas d’absence prolongée de la personne concernée. (Certains de mes amis ont des histoires de famille sur leurs proches revenant des fronts de la Grande Guerre patriotique (Seconde Guerre mondiale) ou des lieux d’évacuation et trouvant leurs appartements occupés. Ils devaient prouver leurs droits).

Plus tard, à l’époque soviétique, il existait un moyen d’investir dans la construction de logements et d’obtenir un appartement « coopératif ». Cependant, la majorité des gens attendaient de l’État qu’il fournisse le logement ; il y avait des listes d’attente. Les transactions déguisées en simples échanges étaient courantes – Koroviev, discutant avec Margerite avant le bal, évoque l’expansion de l’espace maîtrisé par des citoyens entreprenants. Depuis les années 1990, il est devenu possible d’établir une propriété privée, d’acheter et de vendre des propriétés.

Des choses scandaleuses ont commencé à se produire ces dernières années (2017) sous le prétexte de la rénovation des logements. Par rapport à d’autres nouvelles alarmantes, les amendements aux lois réunis par le mot « rénovation » sont perdus ; leur sens sinistre n’est révélé qu’à ceux qui vivent dans des immeubles en briques de six étages dans les zones où les promoteurs peuvent construire de grandes tours et vendre beaucoup plus d’appartements. La décision concernant la nouvelle construction doit être confirmée par les autorités locales, et les promoteurs savent probablement comment les intéresser…

– et cela nous ramène au texte de Boulgakov, à la scène de corruption et aux expressions remarquables une liasse crissante// devint écarlate// l’aiguillon de l’inquiétude//cracher sur tout ça et de ne pas se triturer la cervelle avec des questions aussi embrouillées…// Voyons, ce n’est pas une somme, ça ! Demandez cinq mille, il paiera. //« Les bons comptes font les bons amis », « L’œil du maître engraisse le cheval » Il y a eu un moment intéressant lorsque le groupe a lu ce que Koroviev disait au téléphone en se faisant passer pour un voisin signalant le directeur Bossoï comme quelqu’un qui cache des devises étrangères.

Tout d’abord, l’accent a été mis sur un style de parole particulier, un langage bureaucratique soviétique mélangé à des mots familiers. Ensuite, notre participant britannique a admis que l’idée de dénoncer quelqu’un aux autorités lui semblait « très étrangère ». La partie russe du groupe s’est souvenue des amis d’enfance du prince Hamlet qui l’ont trahi ; pourtant, il est vrai que nous ne parlions pas du Danemark médiéval, mais des années 1930.

Impossible de ne pas se souvenir de la phrase de Sergei Dovladov : « Nous critiquons sans cesse le camarade Staline, et, bien sûr, et pour cause. Pourtant, je voudrais demander – qui a écrit quatre millions de dénonciations ? »

Nous avons ensuite procédé à l’épisode pittoresque « Des dollars dans la bouche d’aération…C’est à vous ce petit paquet ? – Non ! C’est… c’est des ennemis qui l’ont caché là !… – Ça se peut…Bon, maintenant, il faut nous donner le reste. »

Tout le monde rit, mais le thème inquiétant des dénonciations, de la disparition des accusés, puis des informateurs, plane. Le chapitre dix regorge de détails et de références au monde de la musique. Pour garder le fil des événements, nous nous sommes concentrés sur la lecture des télégrammes et des avertissements menaçants reçus par l’administrateur du Théâtre Varieté  au téléphone et en personne.

Le personnages fantastiques s’est ressemblé, puis un orage a éclaté, suivi d’une forte pluie sur Moscou. Dans le bruit de l’orage, l’administrateur, Varenukha, en état de choc après les coups de poing et les menaces, a été embrassé par Gella-le-vampire tandis que les lecteurs sont emmenés par la tempête de l’Anneau des Jardins à la clinique où Ivan est traité. Après la conversation d’Ivan avec son alter ego, dans les dernières lignes du chapitre 11, Boulgakov fait apparaître le voisin d’Ivan. Il ne faut pas se tromper, les lecteurs vont rencontrer l’un des principaux protagonistes – enfin ! Enfin, nous allons parler de l’amour du Maître et Marguerite.

Colloque 6, Chapitres 12-15

Au cours de cette session, nous nous sommes concentrés sur un certain nombre d’extraits fascinants du texte: une représentation de théâtre de variétés avec des éléments de magie noire ; une fuite frénétique de M. Rimsky, soudainement vieux et aux cheveux grisonnants, un interrogatoire en vitrine dans le rêve de M. Bossoï. C’est l’heure de l’une des citations les plus célèbres de Woland : “Eh bien…, répondit celui-ci d’un air pensif, il faut prendre ces gens comme ils sont… Ils aiment l’argent, mais il en a toujours été ainsi… L’humanité aime l’argent, qu’il soit fait de n’importe quoi : de parchemin, de papier, de bronze ou d’or. Ils sont frivoles, bien sûr… mais bah !… la miséricorde trouve parfois le chemin de leur cœur… des gens ordinaires… comme ceux de jadis, s’ils n’étaient pas corrompus par la question du logement… et à voix haute il ordonna: Remettez cette tête en place ! »

« La séance est terminée ! Maestro ! Dégueule-nous une marche ! Le chef, affolé, sans même se rendre compte de ce qu’il faisait, brandit sa baguette, et l’orchestre se mit – non pas à jouer, ni à entonner, ni à scander – mais bien, selon la répugnante expression du chat, à dégueuler une invraisemblable marche, avec un tel laisser-aller que cela ressemblait vraiment à on ne sait quoi. »

« Des curieux en escaladaient la rambarde pour regarder à l’intérieur, où l’on entendait des éclats de rire infernaux et des cris de rage que couvrait par instants le tintamarre doré des cymbales de l’orchestre. »

Le treizième chapitre dédié Maître est en contraste avec les scènes de cirque bizarres et la musique de café-chantant. Il y a des parallèles entre Maître et Ivan aussi bien qu’entre Maître et Boulgakov. Ivan et Maître sont tous deux intéressés par l’histoire racontée dans les évangiles et ont fini dans la clinique du psychiatre « à cause de Ponce Pilate ». Maître et Boulgakov sont tous deux historiens et écrivains. Maître écrit un roman sur Pilate, et tout comme le livre de Boulgakov que nous lisons, son roman se termine par les mots suivants «…le cruel cinquième procurateur de Judée – le chevalier Ponce Pilate. »

L’écho des drames douloureux se fait entendre tout au long de cette partie du livre. Les intrigues du monde des écrivains et des critiques ont provoqué la maladie du Maître. Il ne pouvait pas s’imaginer sans écrire, mais les éditeurs ne voulaient pas publier son roman. Le Maître et Marguerite étaient heureux ensemble mais cela n’a pas duré longtemps. Elle allait parler à son mari et ensuite emménager, rester et vivre avec le Maître, mais cela ne s’est pas produit.

Voici une citation des conférences de Marietta Chudakova, une érudite russe qui a passé des années à étudier les archives de Boulgakov et a parlé beaucoup avec sa veuve, Elena Sergeyevna Boulgakova : « Le roman est plein de détails quotidiens de la vie comme elle était alors. Si vous étiez quelqu’un comme Boulgakov, les informateurs attendaient à chaque coin. Cela semble étrange mais à un certain moment (1990) le service de sécurité fédéral russe a publié, en photocopies et dans une très petite circulation, les rapports des informateurs. En les lisant on se demande : est-ce que Boulgakov a passé au moins une heure de sa vie sans les informateurs ? L’un d’eux, comme Elena Sergeyevna me l’a dit elle-même, était le prototype d’Aloysius Mogarych dans le roman. C’était Emmanuel Jukhovitsky qui a travaillé comme interprète et traducteur. Boulgakov a vu à travers lui instantanément. Joukovitski leur rendait souvent visite et se dépêchait à la Lubianka le soir : les rapports devaient être écrits dans le bureau de la sécurité d’état à la Lubianka le même jour. » <Plus tard, Joukhovitski lui-même a été arrêté et a péri – NW>.

« Je veux avertir tout le monde que l’on ne peut pas accuser les personnes qui sont devenues des informateurs dans ces années-là, car elles étaient trop souvent sous la menace d’être abattues. <…> Nous devons clairement faire la distinction entre l’époque de la Grande Terreur et les années 60 et 70. Dans ces années-là, dans les années 60 et 70, ils <KGB>ont essayé de recruter tout le monde. Nous avons toujours méprisé ceux qui étaient d’accord avec cela. Parce qu’ils ne risquaient pas une balle, et tout le reste pouvait être toléré. « <…> Marguerite écrit à son mari quand elle est sur le point de s’envoler : « Je me suis transformée en sorcière à cause du chagrin et de la détresse qui m’ont affligée ».

Pourquoi elle se mélange avec la « puissance impure » ? Pour n’importe qui, et surtout pour le fils d’un professeur à l’Académie théologique (le père de Boulgakov enseignait à l’Académie Kyiv), les choses étaient assez simples. On ne doit pas s’associer avec les forces sombres ! Finalement, je l’ai compris. Ils avaient l’habitude de visiter l’ambassade américaine, ils invitaient des invités chez eux. Lors de ces rencontres, il y avait forcément un informateur. Parfois il y avait Joukovitsky, parfois quelqu’un d’autre, et parfois personne ! Comment le NKVD recevait-il les informations ? Il n’y a pas tant de réponses à cette question. Je me suis demandé pourquoi quelqu’un qui comprend parfaitement ce qu’est une sorcière dans la conscience russe et le folklore russe appellerait un roman « Le Maître et Marguerite ».

La première partie du titre est une référence directe à l’auteur et à son héros, l’alter ego de l’auteur. « …et Marguerite. » Donc Marguerite doit être une amie proche de l’alter ego de l’auteur. Elena Sergeevna a toujours souligné qu’elle avait été le prototype de Marguerite et que Boulgakov l’avait voulu ainsi. « Quel monument j’ai élevé pour toi ! » – lui a-t-il dit une fois. Alors pourquoi a-t-il fait de sa bien-aimée une sorcière ?

Voici la conclusion à laquelle je suis arrivé, et j’en suis entièrement responsable. Il a appris – par elle, ou d’une autre manière – qu’elle était tombée, à la suite de certaines circonstances, dans les griffes de ces gens, et il a agonisé en essayant de se réconcilier avec lui-même. La plupart des écrivains ne se contentent pas de nous décrire des choses qui les entourent – ils résolvent un problème interne qu’ils ont. Pouchkine et Lermontov ont beaucoup de cela – aussi bien que Boulgakov. Il résolvait son problème intérieur. Et il nous a donné la réponse. Il l’a résolu dans « Le Maître et Marguerite ». Oui, elle est en contact avec les forces du mal, ce qui est une chose très controversée pour nous les Russes. Mais elle le fait pour lui, pour le sauver. Le roman le dit directement et clairement. Boulgakov résout les doutes et enlève le fardeau de culpabilité de sa femme. Vous pouvez lire « Le Maître et Marguerite » parfaitement bien sans savoir ou penser à ces choses. Cependant, si nous voulons l’associer d’une certaine manière à la biographie de Boulgakov, c’est l’interprétation que je propose, et elle reflète l’incroyable tragédie de cette époque. Ceux qui soutiennent que les commentaires jettent de l’ombre sur Boulgakov lui-même, ne comprennent tout simplement pas la vie des gens qui allaient au lit la nuit, ne sachant pas s’ils se réveilleraient dans leur propre lit ou dans une chambre de torture à la Lubyanka. Et comment les gens vivaient, je ne peux toujours pas l’imaginer. » Fin de la citation.

 

J’ai réalisé cette deux photos lors de l’exposition « The Material ». Les femmes dans le Goulag », au Centre Memorial (Karetny Ryad Str.) en décembre 2021.

Le premier document (photo) n’est pas signé, il ressemble à un journal intime ou à un souvenir. Voici ce qu’il dit : « …Les femmes libres portaient des robes d’été aux couleurs vives et marchaient bras nus, tandis que les hommes portaient des chemises ouvertes et des tee-shirts. Les prisonniers déchargés du wagon portaient des costumes, ou des manteaux de fourrure, ou même des robes de soirée, selon le moment et l’endroit où ils avaient été arrêtés. Je portais une robe de chambre en drap brun, et une autre, en bouclette fine, en dessous. Malgré la chaleur de la journée, je n’ai pas enlevé les deux manteaux, et les autres prisonniers non plus. Au cours des transports et des interrogatoires des prisonniers, j’ai en quelque sorte perdu le sens de la température et du temps, et le besoin de changer de vêtements s’est complètement émoussé. Car à tout moment, vous pouvez être convoqué quelque part, et vous ne savez pas pour combien de temps, et vous ne savez pas si vous reviendrez ici. Les prisonniers savent que quel que soit le temps – pluie, gel, blizzard – le convoi les mettra à terre, que ce soit dans une congère ou dans une flaque d’eau. Aussi, lorsqu’ils nous ont déchargés dans une gare, personne n’a pensé à enlever quoi que ce soit – nous gardions de la chaleur pour l’avenir. (Moscou – Poste d’arrêt de transport de prisonniers de Nizhniy Tagil) »

Le deuxième document se termine par un commentaire sur l’exécution de l’auteur, Nina Uborevich, en octobre 1941. Son mari Ieronim Uborevich, un commandant militaire soviétique, a été exécuté plus tôt, en juin 1937 ; tous deux ont été réhabilités à titre posthume dans les années 1950. Leur fille Mira (Vladimira, les parents l’ont nommée d’après Vladimir Lénine) a laissé des mémoires, sous forme de lettres à Elena Sergeevna Bulgakova qu’elle connaissait et aimait. Le premier mari d’Elena qu’elle a quitté pour épouser Mikhail Bulgakov, était aussi un spécialiste militaire de haut rang, ils étaient voisins avec la famille Uborevich. Le texte de Mira Uborevich, « Quatorze lettres à Elena Sergeyevna Bulgakova. Un roman documentaire », en russe, peut être trouvé ici .

Voici le texte de la requête de Nina Uborevich et du verdict du NKVD :  « Commissaire du Peuple des Affaires Intérieures de l’URSS Commissaire Général de la Sécurité d’Etat L.P.Beria De N. Uborevich N. V. Déclaration des circonstances personnelles extrêmement graves m’obligent à m’adresser à vous pour une question aussi insignifiante et mineure. …Dans le camp, avec un salaire de 8 roubles par mois (comme membre du personnel d’entretien), j’avais économisé de l’argent pour ma fille. Sur les 100 roubles que j’avais, j’ai mis de côté 20 roubles pour des lunettes de rechange et pour chercher ma fille, car je ne sais pas où elle se trouve, et avec le reste de l’argent j’ai réparé des chaussures et des vêtements au magasin de la prison de Butyrskaya, et j’ai acheté des lunettes prescrites, des chaussures de paille et des couvre-pieds… J’ai vécu trois ans sans acheter de choses au kiosque de la prison, et j’ai surmonté la maladie des scorbuts et l’héméralopie sans aucune nourriture supplémentaire. Mais il y a quelques mois, mes affaires sont devenues complètement irrécupérables. Mes maigres vêtements sont délabrés, il n’y a aucun moyen non seulement de les réparer, mais aussi de les laver, car la lessive est payante. Cela fait longtemps que je n’ai plus de savon ni de dentifrice. J’ai essayé de me brosser les dents avec de la craie donnée pour nettoyer les seaux à boyaux et je me suis retrouvé avec une inflammation de la muqueuse buccale… Je suis devenu aveugle à cause d’une anémie aiguë. On me soigne bien, mais l’énorme quantité de médicaments que je consomme quotidiennement ne peut satisfaire mon appétit. Tout cela m’amène, Monsieur le Commissaire du Peuple, à vous demander s’il vous serait possible de me donner une partie de l’argent qui m’a été confisqué sans verdict du tribunal. Si vous estimez que la confiscation de mes biens et de ceux de ma fille est inappropriée, compte tenu de l’extrême nécessité, je vous demande de donner l’instruction de me donner une jupe (je n’en ai pas), une veste rembourrée ou tricotée (je n’en ai pas), quelques sous-vêtements, une écharpe chaude ou un bonnet chaud. Signé : Uborevich, 29 janvier 1941. *** 4 juin 1941. Secret. Chef de la prison pénitentiaire de Butyrskaya, NKVD de l’URSS, Commandant de la Sécurité d’Etat, camarade Pustynsky. Nous vous demandons d’informer la personne arrêtée Nina Vladimirovna Uborevich, sur sa déclaration … que ses biens ont été considérés par l’Etat comme des biens confisqués et ne peuvent être rendus. Chef adjoint de la 2-ème division du NKGB de l’URSS Kalinin Chef adjoint de la 2-ème division, capitaine Matveev Condamné à mort sous l’accusation d’avoir participé à un groupe terroriste composé de femmes des réprimés. Fusillé le 16 octobre 1941. »

Retour au roman. À la fin de la séance, nous avons lu des extraits du chapitre 15 sur l’évasion du directeur financier du théâtre des Variétés, M. Rimsky, qui avait fait l’expérience de la rencontre avec les « puissances impures », et sur le rêve du directeur du logement, M. Bossoï, comment il a été interrogé dans l’arène du cirque. Drôle, mais tellement effrayant, « oh dieux, dieux… »

Here is some three quotes: Voici les trois citations:

1)– Un bon pourboire si vous me mettez au rapide de Leningrad, prononça le vieillard hors d’haleine, la main appuyée sur son cœur. – Je rentre au garage, répondit le chauffeur d’un ton venimeux, en lui tournant le dos. Rimski ouvrit sa serviette et en tira cinq billets de dix roubles qu’il tendit au chauffeur par la vitre ouverte. Une minute plus tard, vibrant de toute sa carcasse, le tacot fonçait sur le boulevard de la ceinture Sadovaïa. Secoué par les cahots, le passager apercevait par instants, dans le morceau de glace accroché devant le conducteur, tantôt le regard épanoui de celui-ci, tantôt ses propres yeux, hagards.

2) – Dieu vrai, Dieu tout-puissant ! s’exclama Nicanor Ivanovitch. Vous voyez tout. Ma dernière heure est arrivée. Je n’ai jamais eu entre les mains, je n’ai jamais soupçonné que j’avais je ne sais quelles devises ! Dieu me punit pour mes abominations ! (continua avec feu Nicanor Ivanovitch qui, à tout moment, se signait, déboutonnait sa chemise ou la reboutonnait.) J’ai touché des pots de vin, c’est vrai. Mais c’était de l’argent… de chez nous, soviétique ! J’ai signé des bons de logement pour de l’argent, je le reconnais. Mais Prolejniev, notre secrétaire – c’est un joli coco, lui aussi. – D’ailleurs, à la gérance de l’immeuble, c’est tous des voleurs… Mais j’ai jamais touché de devises !

3) Avant son rêve, Nicanor Ivanovitch ne connaissait rigoureusement rien des œuvres de Pouchkine, mais il connaissait sans doute parfaitement Pouchkine lui-même et plusieurs fois par jour prononçait des phrases de ce genre : « Et le loyer, qui va le payer ? Pouchkine ? » ou bien « La lampe de l’escalier, c’est Pouchkine, sans doute, qui l’a dévissée ? » ou encore : « Et le pétrole, c’est peut-être Pouchkine qui va aller l’acheter ? »…

Colloque sept. Yershalaim Chapitres : 2, 16, 25, 26

La réplique de Ponce Pilate et de Yeshoua sonne en contrepoint des autres chapitres du roman. Le ton des quatre chapitres, qui se déroulent à Yershalaim, est sérieux et réaliste, sans ironie, sans saveur de conte de fées, sans grotesque, sans moments absurdes. En surface, l’histoire ressemble à une interprétation des événements enregistrés dans les Évangiles, mais dès le début, Boulgakov souligne que Yeshua n’est pas le Christ. Yeshoua ne se souvient pas de ses parents, il n’a qu’un seul disciple, il croit que tous les gens sont bons et gentils, il est entré dans la ville à pied, pas sur un âne, en silence, pas sous les acclamations de la foule… Il est un philosophe errant, peut-être un guérisseur, mais pas un messie.

Après sa mort sur la croix, le corps de Yeshoua est pris par un disciple, et non par un riche juste, comme le racontent les évangélistes. Judas, qui a trahi le Christ, se tue. Dans l’histoire de Boulgakov, Judas est tué par Pilate qui avait été tourmenté par un sentiment de culpabilité. Pourquoi Boulgakov raconte-t-il l’histoire bien connue différemment, quel est son message ?

Nous nous sommes tournés vers une analyse détaillée faite par Alexandre Mirer dans son livre « L’Évangile de Mikhaïl Boulgakov ». Voici un extrait : « Le slogan ‘aimez vos ennemis’ a servi de bélier, après quoi certaines règles essentielles et tangibles de la fraternité ont pénétré la moralité européenne… <…> De nos jours, aucune personne raisonnable ne remet en question la valeur du Sermon sur la Montagne. Mais il semble que Jésus lui-même n’ait pas compris son sermon comme nous le faisons, et qu’il avait en tête un bénéfice social différent. Il a proclamé la perfection morale comme une condition préalable pour le salut de ses adhérents de la punition de Dieu au jugement dernier. Mais Boulgakov savait tout cela aussi, et probablement il a réalisé que le récit de l’Évangile des tentatives du procurateur romain de sauver le Christ n’était pas seulement loin de la vérité, mais était peut-être le point le plus faible de l’histoire entière de l’Évangile. Et pourtant, il a construit son récit autour de l’intercession de Pilate, puis de l’apostasie de ce dernier. Pourquoi ? La première réponse est que c’est la nature même du métier. La littérature commence là où une logique élémentaire de comportement s’effondre. La deuxième réponse est que tout écrivain est attiré par les conflits entre l’individu et les pressions du système social. L’histoire de Ponce Pilate est le conflit entre la conscience et le devoir social – sous la forme populaire, qui est le lieu commun de la tradition chrétienne : un certain juge romain commet un acte de trahison <…> Sous la pression de forces socialement significatives, il trahit sa conscience et envoie un être humain à la mort. » Fin de citation

Nous avons lu les dialogues de Pilate avec le chef de la police secrète et nous avons vu se déployer ces thèmes : le pouvoir, l’autorité, les institutions étatiques, la malédiction du système. Tous les agnostiques du groupe savent maintenant que « là où ils se souviendront de moi, ils se souviendront de toi » est une référence à une prière que les chrétiens récitent à chaque liturgie, le « Symbole de la foi ». La prière date du quatrième siècle après J.-C. ; étonnamment, le Yeshua de Boulgakov est au courant du texte.

Huitième session. Chapitres 22-24 : « À la lueur des bougies », « Le grand bal de Satan », « L’extraction du maître ».

Le cahier de travail que j’ai préparé pour ce chapitre comportait beaucoup de commentaires – sur un livre intitulé « L’histoire des rapports de l’homme avec le diable » et les « messes noires », les célèbres parties d’échecs, l’Avadonna de l’Apocalypse et la guerre d’Espagne, couverte quotidiennement par la radio en mai 1937 (agaçant Woland, comme il l’a dit), sur les méchants et les bourreaux qui ont allés au bal.

Ces commentaires étaient destinés aux participants, qui devaient les lire à l’avance, car tout le temps de la session était consacré aux splendides dialogues que les chapitres 22-24 ont à offrir. Nous en avons joué neuf d’entre eux pendant la session en appréciant chaque minute. C’est l’un des participants qui a attiré l’attention de tous sur la façon dont le nom du chat était rendu dans le texte anglais – non pas Hippopotamus mais Behemoth, le nom d’un démon mythologique, biblique.

Colloque 9

Nous avons lu plusieurs scènes et dialogues merveilleux pour réfléchir à l’affirmation « Qu’il vous soit fait selon votre foi ». « Maître et Marguerite » est un grand livre inépuisable. Le groupe a décidé de poursuivre les séances et de commencer à lire Nikolaï Gogol. De cette façon, nous continuerons également à parler de Mikhail Bulgakov qui se considérait comme l’apprenti de Gogol.

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