« L’autre » en 2020, plus près et plus loin
La pandémie a jeté un nouvel éclairage sur les questions relatives aux relations entre les enfants, leurs parents et leurs grands-parents. Certaines familles ont passé plusieurs mois ensemble dans un espace presque clos, tandis que d’autres ont dû surmonter de nouveaux obstacles en se rendant chez l’autre.
D’une part, le risque mortel est devenu un sujet d’actualité : « Grand-père, suis-je dangereux pour toi parce que je peux t’infecter ? Est-ce que cela signifie que je peux te tuer, moi ? »
Les familles en général étaient attentives à leurs aînés : « Je vais au terrain de jeu, d’accord ? » – « Non, tu ne peux pas » – « Pourquoi pas, maman ? » – « Je te l’ai déjà expliqué : tu vas être infecté, puis tu t’en remettras sans t’en rendre compte et puis grand-mère l’attrapera de toi, et alors personne ne sait comment ça va finir ». D’autre part, l’isolement et le stress liés à l’incertitude économique et sociale entraînent une augmentation de la violence dans les familles et les foyers.
Tensions domestiques croissantes
En Russie, les cas de violence domestique ont été multipliés par deux fois et demi: les femmes de tous âges ont subi des violences physiques de la part de leur partenaire, de leurs enfants et de leurs petits-enfants.
La situation est aggravée par l’absence d’une loi, qui pourrait protéger les victimes et prévenir les coups, et par les attitudes de rejet de la part de la société à ces questions considérées comme privées et donc difficiles à réguler.
Les projets de loi ont été discutés, critiqués et révisés pendant plusieurs années dans les deux chambres du Parlement russe, mais le consensus reste une lumière faible au bout du tunnel.
Le projet de loi porte essentiellement sur les droits de l’homme, une discussion difficile et complexe, surtout après l’adoption récente d’un amendement à la Constitution russe, qui stipule que la famille ne peut être fondée que par un homme et une femme et seulement telles familles peuvent adopter des enfants.
Que puis-je faire ?
Les inégalités sociales, qui n’ont fait que s’aggraver pendant la pandémie, doivent être notées, discutées et traitées. Un point de départ est probablement un dialogue plus intense entre les différents groupes de la société, et entre les différentes générations d’une même famille.
Je rends hommage à ce dialogue en organisant ce cours sur les questions de genre et le féminisme, qui est basé sur mes propres études, observations et conversations que j’ai eues en travaillant et en voyageant en Europe, aux États-Unis et en Afrique du Nord.
Je partage ci-dessous le synopsis et quelques impressions des 10 premières sessions pilotes que j’ai organisées avec des adolescents russes. Le raisonnement est que la prévention est toujours préférable à la punition, et que c’est important que l’on puisse identifier une propagande et manipulation, même sur les chaînes de télévision officielles.
Quelle est la prochaine étape ?
Voici quelques-unes des conclusions des sessions pilotes : (1) le cours est destiné aux adolescents de plus de 15 ans, (2) proposer des hypothèses et des sondages aide à engager les participants, (3) la prochaine fois que je ferai un tel cours, j’aimerais diriger chaque session avec un des participants, afin que chacun d’entre eux assume le rôle de présentateur et de médiateur de discussion.
Je poursuivrai mes propres études sur les questions de genre car je vais travailler pour des projets internationaux visant l’inclusion financière et le développement d’entreprises dirigées pour les femmes, des femmes entrepreneurs. En même temps, je cherche des partenaires pour poursuivre le cours. Aider les adolescents et leurs parents à voir au-delà des stéréotypes, à développer une sensibilité à la discrimination, à voir « l’autre » non pas comme un ennemi mais comme un adversaire en des discussions, et très nécessaire dans la Russie d’aujourd’hui.
Pouvoir et autorité, dans les familles et dans les pays
Sujets :
– Types de famille connus dans l’histoire
– Le « Domostroi » russe, le code de comportement domestique du XVIe siècle et le mot « domostroi » en russe moderne
– Le matriarcat des Indiens d’Amérique du Nord et des tribus maori de Nouvelle-Zélande
– Cent ans du dix-neuvième amendement à la Constitution d’Etats Unis qui a donné le droit de vote aux femmes
– La loi électorale pour les femmes dans différents pays : les dates, les faits, les drames
– Suffrage des femmes : une carte interactive
– Attitudes méprisantes envers les suffragettes il y a cent ans, envers les féministes en Russie aujourd’hui
– La réponse de l’art russe contemporain au problème de la violence domestique
– Le projet de loi russe sur la violence domestique, les litiges qui l’entourent.
Notes d’après-session :
- Andrey, qui vit aux États-Unis depuis sa plus tendre enfance, n’a pas entendu le mot « domostroi », alors que les participants russes savaient seulement que ce mot décrivait une tradition de subordination à l’autorité du père dans la famille, ou une pression émotionnelle exercée sur les membres de la famille ; ils ne connaissaient pas le livre « Domostroi » de seiziemme siecle.
- Tous les participants ont déclaré que dans leur foyer, la plupart des décisions sont prises par les deux parents et que le travail domestique est partagé ou « externalisé ».
La beauté et le corps humain comme objet et comme marchandise
Sujets :
– La beauté et la liberté des femmes dans les trois différentes vagues du féminisme
– Gloria Steinem, exposé de l’empire « Playboy »
– Naomi Wolf sur l’inégalité dans « Le mythe de la beauté ».
– Masculinité », exposition au Barbican Centre, Londres, l’été 2020
– « Fourrage à canon », vulnérabilité de l’homme
– « Harcèlement » – comment le détecter, sans aller jusqu’à l’extrême.
Notes d’après-session (O tempora, o mores!) :
- Il y a une quarantaine d’années, les mères russes donnaient de l’argent de poche à leurs fils en disant : si un garçon comme toi invite une fille à aller voir un film, il lui achète un billet et ensuite une glace… Quelque chose de moins courant de nos jours mais encore possible à imaginer en Russie.
- Nous sommes passés par certaines règles de politesse prescrites aux hommes au milieu du XXe siècle, et une seule règle a été qualifiée comme acceptable par les participants russes de 14 à 16 ans : « l’homme doit aider la femme avec son manteau et ne pas laisser un assistant du vestiaire le faire ». Quant à la règle « en entrant dans une pièce, l’homme cède la place à la femme », « dans un restaurant, un théâtre ou un cinéma, c’est l’homme qui entre le premier » – ces règles semblaient étranges.
Professions et occupations
Sujets :
– L’écart de rémunération et le plafond de verre
– Congé parental dans différents pays
– L’initiative « Lean In » de Sheryl Sandberg – est-ce du féminisme ? ou quelque chose d’autre ?
– Les femmes et la programmation, les femmes et les STEM
– Capacités intellectuelles, différences biologiques, rôles imposés
– Est-il nécessaire d’enseigner les sciences exactes différemment aux filles ?
– Liste des professions interdites aux femmes en Russie
– Discrimination des femmes ou discrimination des hommes ?
Notes d’après-session. Discussion « Mythes et réalité ».
En général, les participants ont réussi à faire diverger les mythes et les faits : « les filles, en général, sont plus enclines à communiquer » – vrai, « les filles manquent de motivation pour la réussite » – faux, « il y a plus de garçons que de filles doués en mathématiques » – vrai, « il y a plus de garçons autistes que de filles ; l’autisme va souvent de pair avec des capacités exceptionnelles en mathématiques » – vrai ; « les garçons sont plus visuels et les filles écoutent mieux » – faux, etc.
Santé, soins médicaux, sports
Sujets :
– Les guerres, la violence, l’abus de pouvoir comme menace pour les personnes fragiles – et pour nous tous
– La réponse de l’art : La petite danseuse de quatorze ans d’E. Degas, La guerre maudite de D. Hearst
– La violence à côté des guerres : les projets de l’ONU dans les pays où se pratiquent les mutilations génitales féminines
– Initiatives internationales de soutien aux femmes et aux jeunes filles dans les zones de guerre et d’après-guerre
– « Notre corps, nous-mêmes », un livre pour plusieurs générations de filles aux États-Unis
– Exemple russe d’une initiative informelle : Des écoles pour les pères
– Médecine et pharmacologie : des voix s’élèvent pour protester contre les solutions standard
– Sports : lutte pour l’égalité des chances
Notes d’après-session :
- Avec les participants de 12-13 ans, nous n’avons pas discuté de la mutilation génitale féminine. Cependant, le sujet était inconfortable à aborder dans un deuxième groupe plus âgé également, bien que j’aie promis dès le début que nous allions équilibrer le sujet difficile avec des histoires amusantes sur le sport. C’est un rappel de plus de la difficulté qu’il y a à combattre les cruelles traditions de mutilation génitale féminine dans les sociétés patriarcales : les hommes ne veulent tout simplement pas connaître les détails.
- La comparaison entre les filles et les garçons dans le domaine du sport est la partie la plus intéressante pour ceux qui sont personnellement actifs dans le sport, comme Keira, dans l’équipe féminine de hockey sur glace, et Mikhail, un joueur de tennis. « Les hommes donnent plus lorsqu’ils jouent » – « Non, les femmes donnent plus, car elles doivent prouver qu’elles sont assez bonnes, pas pires que les hommes… »
Tous différents, tous égaux. Recherche internationale et notation de l’égalité des sexes
Sujets :
– L’impact complexe de la religion et des traditions, et leur interaction
– Comprendre la diversité par la culture
– Les questions de genre en politique
– Projet international de lutte contre le harcèlement en Égypte
– Indice de l’égalité des sexes du Forum économique mondial 2019-2020
– Exemples de la Chine, de l’Inde, de la Russie – qu’est-ce qui définit la place dans les notations ?
– Importance des données séparés par sexe
– Les droits des femmes sont des droits humains. « Tant que nous ne sommes pas tous libres, personne n’est libre »
Les notes de post-session :
- Non seulement les participants mais aussi moi-même ne savions pas, avant de commencer à préparer le cours, qu’en Inde, en Chine et dans les républiques du Caucase du Nord, Russie, les avortements sélectifs étaient courants. En Inde, les gouvernements de certains états ont même interdit la recherche prénatale par ultrasons, afin d’essayer de rétablir l’équilibre entre les sexes dans le pays.
- La comparaison des pays et l’examen de la logique des notations ont été une expérience instructive.